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The Good Food Institute Brésil : « Le Brésil va être au centre du débat le plus important de notre siècle »

Le Brésil, première puissance économique d’Amérique latine, a été durement touchée par la crise de la Covid. En 2020, le PIB a chuté de 1,4 % par rapport à l’année précédente, sans compter l’énorme coût humain infligé par la pandémie. Cependant, la banque centrale du pays prévoit une croissance du PIB national de 3,6 % cette année et, malgré les conséquences de la crise à tant de niveaux, le Brésil reste un pôle régional d’innovation dans le domaine des protéines alternatives.

Afin d’entendre la voix d’un véritable expert dans ce secteur, Vegconomist a réalisé un entretien avec Gus Guadagnini, PDG du Good Food Institute Brésil, une organisation qui promeut et favorise la transition vers un système d’alimentation sans animaux.

Parlez-nous un peu de vous et dites-nous comment vous êtes devenu PDG du Good Food Institute (GFI) au Brésil.

Je suis un homme d’affaires qui a travaillé principalement dans de grandes entreprises, principalement dans le domaine de l’innovation et de l’ouverture de nouvelles unités commerciales au Brésil. L’esprit d’entreprise, les habitudes de consommation et les tendances technologiques ont toujours constitué une source d’inspiration dans ma carrière. Après sept ans dans mon ancien emploi, j’ai décidé de changer de carrière et de suivre mon désir de contribuer davantage au bien-être de notre planète. Mon souhait était surtout de contribuer à la cause animale puisque j’étais déjà végane à l’époque. Ce changement de vie m’a amené à participer à des projets de consultance passionnants pour des startups axées sur l’impact. Malgré cela, je voulais me concentrer sur une cause qui me tenait personnellement à cœur. Au bout d’un certain temps, j’ai fini par entrer en contact avec Bruce Friedrich, qui avait lancé GFI USA quelques mois plus tôt. Nous avons décidé que le Brésil pourrait constituer un deuxième siège pour GFI. C’est ainsi que mon histoire avec GFI a commencé. J’ai débuté chez GFI Brésil le 1er février, date qui par hasard correspond exactement un an après, jour pour jour, à la date de lancement officiel de GFI USA.

Bruce Friedrich
Bruce Friedrich, PDF de GFI USA

Quel est le rôle de GFI en ce qui concerne les affaires et l’entreprenariat au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique latine ?

Notre équipe chargée de l’engagement des entreprises (Corporate Engagement Team) met en place des relations de collaboration avec les principaux producteurs alimentaires (y compris les entreprises de viande), les startups, les investisseurs et les détaillants afin de maximiser la disponibilité, la qualité, la quantité et la promotion de la viande d’origine végétale. Nous ne nous contentons pas de faire des rapports sur ces secteurs, nous leur fournissons des informations cruciales sur le marché, y compris sur la connaissance des consommateurs. Par exemple, nous cartographions les « espaces blancs » dans tous les domaines de la viande, des œufs et des produits laitiers végétaux, en montrant où se trouvent les opportunités. Nous faisons connaître la recherche et l’état actuel des sciences et de l’ingénierie afin que personne n’ait à repartir de zéro et à réinventer la roue.

En bref, GFI est un groupe de réflexion pour les secteurs de la viande cultivée et de la viande végétale. Outre le fait d’inspirer et de recruter de nouvelles personnes dans ces domaines, nous aidons à constituer des équipes fondatrices et à lancer de nouvelles entreprises. Une fois ces équipes constituées, nous fournissons toute une gamme de services, allant du marketing de la marque jusqu’aux plans d’affaires et aux relations publiques. GFI met en relation ces nouvelles entreprises avec les sources de financement et leur fournit des conseils sur les questions réglementaires. Nous aidons également à créer des coalitions d’entreprises nouvelles ou d’entreprises déjà existantes à comprendre et à aborder les questions de réglementation. De cette façon, GFI agit comme un accélérateur pour les secteurs du marché de la viande cultivée et de la viande d’origine végétale.

GFI est également en contact avec des fondations, des entreprises, des investisseurs et des gouvernements et explique la valeur de la recherche et du développement (et des fusions et acquisitions) dans ce domaine, notamment en tant que composante essentielle de la santé publique, la durabilité, le changement climatique et la faim dans le monde. Ces efforts ont l’ambition de transformer des dizaines de millions de dollars en subventions gouvernementales et provenant de fondations vers le secteur de la viande, des œufs et des produits laitiers végans. Nos efforts ont déjà contribué à favoriser des investissements importants – et même des acquisitions – dans des entreprises de viande cultivée et végétale par certaines des plus grandes entreprises alimentaires du monde, ce qui leur a apporté davantage de ressources et d’expérience pour développer leurs produits et les mettre sur le marché plus rapidement et plus largement.

GFI
© GFI

Nous dirigeons également nos efforts pour lutter contre les tentatives réactionnaires et protectionnistes de certains intérêts bien établis. GFI dénonce les efforts visant à entraver le développement et la commercialisation de la viande, des œufs et des produits laitiers véganes, tout en donnant la parole aux journalistes et à d’autres personnes en faveur du progrès et de l’innovation. Nous travaillons avec les décideurs politiques et les régulateurs pour garantir une voie claire et efficace vers le marché de la viande cultivée. Le Good Food Institute contribue à modifier fondamentalement le système alimentaire, en accélérant le passage de l’agriculture animale industrielle à la viande, aux œufs et aux produits laitiers véganes. Nous faisons tout cela non seulement au Brésil mais aussi aux États-Unis, en Asie-Pacifique, en Europe, en Inde et en Israël.

Au Brésil, nous avons été les premiers à parler de protéines alternatives. Nous sommes fiers d’être un élément essentiel de tous les projets les plus pertinents de la région, comme la startup Fazenda Futuro et aussi les investissements réalisés par de grandes entreprises comme JBS. Nous sommes également des partenaires pour la communauté des investisseurs comme le VC Enfiny et des détaillants comme GPA. Nous sommes le principal conseiller du gouvernement sur ce sujet et le principal défenseur de la science dans la région.

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© Fazenda Futura

Pourriez-vous nous donner votre avis sur le développement du secteur de l’alimentation végétale au Brésil par rapport au même secteur en Amérique du Nord et en Europe ?

Le secteur des protéines alternatives va connaître une croissance exponentielle dans les années à venir, tant au Brésil que dans le reste du monde. Cependant, l’agro-industrie brésilienne est incroyablement bien développée, puisqu’elle approvisionne le monde en céréales, légumes et produits animaux. De plus, les consommateurs de la région sont très ouverts aux protéines végétales. Je peux donc affirmer que le secteur se développe beaucoup plus rapidement ici et que cette tendance se poursuivra dans les années à venir. Il y a quelques années, nous n’avions presque rien sur le marché des similis carnés et aujourd’hui le Brésil exporte déjà vers plus de 15 pays. Ce marché en pleine croissance, comme je l’ai mentionné, est dû à la vocation que nous avions déjà pour le secteur agroalimentaire. Nous disposons, entre autres, d’excellents scientifiques, de grandes entreprises de viande et d’alimentation et de réseaux logistiques bien établis.

En ce qui concerne l’acceptation par les consommateurs, GFI a commandé l’année dernière au Brésil une étude qui a révélé que 50 % de la population locale a déjà réduit sa consommation de viande. En outre, 37 % d’entre eux ont déjà intégré la viande d’origine végétale dans leurs habitudes, et seuls 7 % ne consommeraient jamais de produits d’origine végétale.

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© The New Butchers

Parallèlement, les économies brésilienne et latino-américaine souffrent toujours des effets de la COVID 19 et aucun signe de retour aux niveaux pré-pandémiques ne se profile dans un avenir proche. C’est pourquoi nous pensons que l’activité d’exportation jouera un rôle essentiel dans la croissance et le développement des entreprises du secteur végétal de la région au cours des deux prochaines années.

En résumé, si l’excellente acceptation des consommateurs et les infrastructures préexistantes font croître les marchés des protéines alternatives au Brésil et en Amérique latine, il est clair que l’économie locale est sous pression et mettra du temps à se rétablir.

Comment voyez-vous l’avenir du secteur alimentaire qui produit des aliments d’origine végétale et des aliments issus de cultures cellulaires au Brésil et en Amérique latine ?

À propos des aliments d’origine végétale : au cours des premières années de l’industrie, notre région essayait de combler le fossé entre les produits et les technologies dont nous disposions ici et ceux des marchés plus développés. Cette tâche est à un stade avancé, car le Brésil et d’autres pays comme le Chili produisent déjà certains des produits véganes parmi les plus délicieux au monde. Tout indique que l’investissement privé dans la région restera fort.

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© NotCo

Dans cette optique, je pense que les prochaines années apporteront une vision plus spécifique de la région et de la manière dont elle peut jouer un rôle unique dans le secteur des protéines alternatives. L’Amérique latine abrite la plus grande forêt tropicale au monde, l’Amazonie, et le potentiel de développement de nouveaux ingrédients à partir de sa biodiversité est énorme. Il en va de même pour d’autres zones de la région, comme le biome du Cerrado au Brésil. Outre les effets positifs de la substitution des produits animaux, notre industrie peut créer une économie locale qui soutiendra les communautés productrices et créera une incitation financière à maintenir les forêts en vie.

Non seulement la forêt fera partie de ce jeu, mais aussi la production locale de céréales et de légumes. La semaine dernière, le géant de la viande BRF a lancé un nouveau produit qui utilise des haricots brésiliens comme source de protéines. Je parie que cette tendance va se répandre dans toute la région : la priorité donnée aux ingrédients locaux produits plus près des installations de l’industrie alimentaire et qui font déjà partie traditionnellement de la culture locale.

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Crédit : Aleph Farms Technion  Israel Institue of Technology

En ce qui concerne la viande de culture : il s’agit d’un domaine qui vient de démarrer dans la région et qui sera probablement piloté par les grands fabricants de viande qui sont très présents en Amérique latine et disposent de suffisamment de ressources pour investir dans la haute technologie. BRF a déjà annoncé que son produit de viande cultivée sera fabriqué en partenariat avec la startup israélienne Aleph Farms. Après cette annonce, il est très probable que d’autres grandes entreprises rejoignent le secteur et réalisent de forts investissements pour se disputer le marché local.

Aimeriez-vous dire quelque chose à nos lecteurs qui envisagent de créer ou de développer leur propre entreprise dans le secteur des aliments d’origine végétale ou de la viande cultivée au Brésil ?

Le Brésil n’est pas un marché facile : c’est un pays continental doté d’un système logistique complexe, d’un environnement fiscal difficile à comprendre et coûteux, de lois complexes, d’une moyenne de revenus faible au sein de la population et il n’est pas entièrement stable sur le plan politique. Cependant, il s’agit également d’un grand marché de consommation, avec une forte tradition d’achat de produits animaux et une forte acceptation des substituts alternatifs. Le Brésil dispose également d’une industrie alimentaire de premier plan et d’une distribution établie pour l’ensemble de la planète. En outre, le pays compte d’excellents scientifiques qui cumulent des dizaines d’années de connaissances dans le domaine de l’alimentation. Il dispose d’universités fortes et d’une solide capacité de main-d’œuvre dans le secteur.

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© Richard Carey- stock.adobe.com

Le Brésil sera également au centre du débat le plus important de notre siècle : la préservation de la biodiversité et des forêts comme l’Amazonie. Par conséquent, la création d’une entreprise qui contribuera à la réalisation de cet objectif peut placer les entreprises et les entrepreneurs dans une position unique qui leur permettra de tirer profit de leur activité tout en participant à la résolution des problèmes environnementaux les plus urgents dans le monde.

Ma conclusion : créer une entreprise au Brésil n’est peut-être pas facile, mais l’effort en vaut la peine. Supposons qu’une entreprise fondée sur l’innovation souhaite se développer de manière durable et respectueuse de l’environnement, il se pourrait bien alors que le Brésil soit le pays idéal pour l’accueillir.

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